VU SUR LE WEB
Des chercheurs américains ont analysé 38 millions de tweets postés depuis le début du conflit.
La Syrie étant devenue quasiment inaccessible aux journalistes étrangers, les réseaux sociaux ont très largement pris le relais de l’information sur le conflit qui fait rage depuis maintenant près de trois ans. Jusqu’à influencer directement le jeu diplomatique international, comme ce fut le cas pour les vidéos, postées sur YouTube, de ce qui s’est avéré être une attaque massive à l’arme chimique sur la Ghouta, dans la banlieue de Damas, en août 2013. Mais quelle information ? Qui écrit quoi, pour qui, et à quel dessein ? Marc Lynch, Deen Freelon et Sean Alay, trois chercheurs américains de la George Washington University et de l’American University, se sont penchés sur ce déluge d’info en ligne. Le United States Institute of Peace publie leur étude ce mois-ci.
Les trois universitaires ont passé au crible 38 millions de tweets en anglais et en arabe contenant le mot Syrie, postés sur une période de vingt-huit mois. Ils en tirent plusieurs conclusions.
ON NE LIT QUE CE QUE L’ON SAIT LIRE
Si, au début du printemps arabe, les messages en anglais ont prédominé, parce qu’ils permettaient de sensibiliser l’opinion occidentale, en Syrie dès juin 2011, soit deux mois après le début du mouvement, l’arabe a nettement remplacé l’anglais. L’usage des réseaux sociaux s’est concentré vers une audience locale et communautaire, la twittosphère syrienne s’est fragmentée et radicalisée. Ne se fier qu’aux tweets en anglais conduit donc à une analyse très biaisée, mettent en garde les chercheurs :«L’isolement de la twittosphère anglophone par rapport aux multiples réseaux concurrents en langue arabe soulève d’importantes interrogations sur la manière dont les médias occidentaux appréhendent le conflit.»
TROP D’INFO TUE L’INFO
L’important flux de vidéos, tweets et messages Facebook aurait pu, notent les chercheurs, permettre au reste du monde un accès large et immédiat au conflit. C’est l’impression d’une guerre en direct qui avait été donnée dans les premiers temps à Homs. En réalité, «le débit et la nature du flux d’information sont tels que même les spécialistes sont noyés - sans parler de l’observateur moyen». Au fur et à mesure, différents réseaux d’information se sont constitués, avec chacun leur stratégie narrative, leur «hub» de contrôle et d’aiguillage, leurs relais et leur public – occidental pour les rebelles de l’Armée libre, pays du golfe pour les islamistes, etc. Un journaliste anglophone peut ainsi ne jamais tomber sur les vidéos d’appel au martyr qui circulent pourtant en masse sur les réseaux d’informations islamistes. A l’inverse, la vidéo du «rebelle cannibale» a davantage tourné côté occidental que pays du Golfe.
UN JIHADISTE, COMBIEN DE JIHADISTES ?
C’est la difficile question de l’authentification, mais aussi de l’effet loupe. Les chercheurs comme les journalistes, notent les auteurs de l’étude, sont devenus assez bons pour repérer si une vidéo est fausse ou non. Par exemple si une vidéo présentée comme tournée à Homs en septembre a en réalité été tournée à Alep en mars. En revanche, ils sont bien en peine d’évaluer si le flux vidéo exagère, ou à l’inverse sous-estime, l’étendue de ce qu’il montre : la réalité de la présence jihadiste par exemple, ou l’extrémisme des groupes armés. Ce biais structurel affecte aussi bien «le décompte des victimes que l’évaluation de l’importance d’organisations peu présentes sur les réseaux».
On aurait tort, concluent malgré tout les chercheurs, de se défier par principe de ces tweets et vidéos qui, «bien analysés», ouvrent une fenêtre irremplaçable sur une zone de conflit inaccessible et documentent des crimes de guerre.Cordélia BONAL
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